jeudi 29 janvier 2009

Le symbolique et le politique














Washington, 29 janvier 2009.
Le président américain signe une loi d'égalité salariale.

Depuis son installation à la Maison-Blanche, le nouveau président américain a déjà signé une certain nombre de textes sur des sujets aussi divers que la fermeture programmée de la prison de Guantanamo, le droit à l'avortement et, aujourd'hui, l'égalité salariale.

Ce dernier "Act" porte le nom d'une ancienne employée d'une usine de pneumatiques Goodyear d'Alabama, Lilly Ledbetter. En effet, celle-ci a conduit depuis plusieurs années un combat contre les discriminations de salaire entre hommes et femmes, après avoir constaté qu'elle était moins payée par son entreprise que ses collègues masculins. Au-delà de cette différence de sexe, sont également mentionnés les clivages dus à l'âge, à l'origine ethnique ou nationale, et aux croyances religieuses.

"Cela tombe très bien pour la toute première loi que je signe, a souligné Barack Obama. "Nous confirmons un des premiers principes de ce pays selon lequel nous sommes tous nés égaux et nous méritons tous de poursuivre notre propre vision du bonheur".

La principale avancée de cette loi vise l'allongement de la durée pendant laquelle les salariés peuvent porter devant la justice les cas de discrimination dont ils ont été victimes. L'ancienne administration Bush avait tout fait pour empêcher ces recours, suivie en cela par la Cour suprême qui, en 2007, avait imposé une limite à la durée pendant laquelle la justice peut être saisie.

Plusieurs photographies de cette signature sont disponibles sur le site de la Maison-Blanche.

Sur celle que j'ai sélectionnée, le président est entouré, entre autres, de Lilly Ledbetter, de la Speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, de la secrétaire d'État Hillary Clinton, du vice-président Joe Biden et de Michelle Obama. Ici, ce qui était inscrit dans la perspective géométrique de l'intersection du Mall et de la Maison-Blanche prend une dimension concrète. Hautement symbolique, la présence de toutes ces personnalités pourrait paraître presque trop officielle, voire compassée. À la dominante rouge des toilettes de cinq des femmes présentes s'oppose la simplicité presque scolaire de la table sombre sur laquelle le président signe la loi. Tout en gardant leur solennité, ces premières décisions du président Obama surpennent par leur caractère irénique, comme s'il s'agissait de régler sans crier gare des conflits sans doute parvenus à leur terme historique.

mercredi 21 janvier 2009

OBAMA PRESIDENT










Dans un article paru en 1992, Serge Daney se demandait ce que pourrait être "le monde sauf l'Amérique". Il écrivait : "Il y a parfois, dans l’anti-américanisme français (le mien compris), quelque chose de ressentimental et de petit, eu regard à la générosité sans réserve que fut le spectacle américain, à ce potlatch d’images qui intrigua Bataille et qui préoccupe aujourd’hui les repreneurs japonais d’Hollywood (voir la perplexité de M. Morita devant les mœurs somptuaires de la Columbia). C’est qu’il reste en Amérique des traces de la mission d’« entretien » – au sens d’entertainment comme au sens de corvée ménagère – qui fut son lot. Cette mission, je la formulerai ainsi : le jour où les petits hommes verts – seuls « autres » dignes du rêve américain – répondront à l’appel de Spielberg, il n’y aura encore que des Américains pour savoir leur danser et leur chanter ce que c’est qu'un homo, sapiens, faber ou habilis."

À voir la passion qu'a suscitée l'intronisation de Barack Hussein Obama à Washington DC hier, l'Amérique est de retour sur les deux fronts : celui des affaires du monde, sans le cynisme et la brutalité de Bush et Cheney, et celui du symbolique et de l'imaginaire, avec, au premier rang, Seeger, Springsteen, Aretha Franklin, mais aussi, visibles dans la foule, quelques-uns de ceux qui vivent dans la plus grande pauvreté dans l'immédiate banlieue de la capitale fédérale et qui ont été invités à participer à la fête.


La présence d'Obama devant le Mémorial de Lincoln, je l'avais évoquée dans un message précédent comme étant une étape incontournable de son arrivée à la Maison-Blanche. À cela s'est ajoutée la longue avancée, à pied et en voiture, du nouveau président sur Pennsylvania Avenue, qui a permis de voir et d'entendre la foule dans un de ces moments où le temps s'arrête et où la joie d'être ensemble suffit à tous et à chacun.













Si Martin Scorsese est et restera celui qui, avec New York New York, nous fait connaître la ville avant même d'y être allé, Frank Capra est celui qui, avec Mr. Smith Goes To Washington, nous a pris par la main pour nous faire découvrir la capitale, conçue sur les plans d'un urbaniste français, Pierre Charles L'Enfant. Regardez Jimmy Stewart arrivant à Union Station, puis passant devant la Cour Suprême, le Congrès et le Lincoln Memorial. Maintenant rendez-vous aux National Archives, qui se trouvent sur Pennslyvania Avenue et qui sont ouvertes à tous, sans grande formalité. L'accès aux collections se fait désormais sur un autre site, à College Park (Maryland). Une navette vous prendra vers 8h30 le matin et vous y emmènera gratuitement. Après avoir descendu l'avenue, être passé près du Capitole, et avoir tourné à gauche, vous arriverez devant Union Station, la gare centrale de la capitale. Jusque-là, c'est le Washington monumental que vous avez vu. Quelques centaines de mètres plus loin, dans la montée vers un cimetière, soudainement, vous apercevez des taudis, des rues adjacentes désertes, des gens apparemment désœuvrés : cela, c'est la plus grande banlieue noire des États-Unis.

La situation des Africains-Américains ne va pas changer du jour au lendemain puisqu'elle est le résultat d'une histoire qui s'écrit sur la longue durée. Dans la crise que connaissent aujourd'hui, comme beaucoup d'autres pays, les États-Unis, il se trouve que le déclassement, le chômage, la misère n'épargneront personne. Que ce soit un président d'origine africaine-américaine qui soit désormais en charge de redresser une telle situation est sans doute la plus grande victoire pour ceux qui, il y a encore peu de temps, étaient victimes de lynchages. C'est cette espérance qui nous concerne tous, car elle revitalise ce que Lincoln avait rappelé à Gettysburg comme étant l'esprit universel des pères fondateurs, l'appel à une "nouvelle nation, conçue dans la liberté, et vouée à l’idée que tous les hommes sont créés égaux".