jeudi 11 mars 2010

LA CAMÉRA EXPLORE LES CAMPS




L’horreur plein cadre

Expo. Au Mémorial de la Shoah, «Filmer les camps» montre les image tournées par John Ford, Sam Fuller et George Stevens lors de la libération de Dachau et Falkenau, en 1945.

Par gérard LEFORT

Dès l’entrée, l’intelligence nous accueille. Une tendre mélopée s’échappant d’un moniteur vidéo où l’on reconnaît, en noir et blanc, Ginger Rogers et Fred Astaire. Pourquoi cette introduction dans une exposition intitulée «Filmer les camps» ?

Lire la suite : http://www.liberation.fr/culture/0101623807-l-horreur-plein-cadre

samedi 6 mars 2010

Filmer les camps


L’exposition “Filmer les camps. John Ford, Samuel Fuller, George Stevens, de Hollywood à Nuremberg” ouvre ce mercredi 10 mars à Paris, au Mémorial de la Shoah.


Il y a soixante-cinq ans, le monde découvrait les films tournés par les Alliés dans les camps de concentration et d’extermination nazis. De ces images qui nous sont parvenues, nous ne connaissons peu ou pas les auteurs et encore moins les conditions de réalisation. Le Mémorial a choisi de suivre le parcours de trois des producteurs de ces images, des cinéastes venus de Hollywood : John Ford, Samuel Fuller, George Stevens.

En 1945, les images de Dachau prises par l’équipe de Stevens sont insérées dans un documentaire montré d’abord aux États-Unis avant d’être projeté, à titre de preuve des crimes nazis, devant le Tribunal Militaire International de Nuremberg. Cette expérience, inédite, a été préparée par John Ford, qui dirigeait lui-même une unité spéciale, la Field Photographic Branch, chargée de réaliser entre autres ce film, Les Camps de concentration nazis, et de mettre en place le filmage du procès.

Si l’exposition se limite aux deux camps de Dachau et de Falkenau (satellite de Flossenbürg), elle est néanmoins de nature à faire comprendre au public les conditions dans lesquelles les opérateurs américains ont travaillé. Les équipes mises en place par John Ford et George Stevens étaient composées d’opérateurs professionnels, reconnus et expérimentés, ou formés spécialement à cette occasion.

L’exposition retrace l’histoire de ces trois grands cinéastes dont le parcours a été bouleversé par les violences de la Seconde Guerre mondiale et la mise en présence des victimes des « atrocités nazies ». En complément des images, des textes de John Ford et de Joseph Kessel sont lus par Jean-François Stévenin.

Pour la première fois, les images du camp de Dachau sont présentées dans l’ordre chronologique dans lequel elles ont été tournées. Elles sont accompagnées des fiches que les opérateurs remplissaient et des comptes rendus rédigés par l’un des écrivains embauchés par Stevens. Des extraits de ces récits, lus par Mathieu Amalric, ont été placés en commentaire des images. Cet ensemble documentaire permet de donner une place aux spectateurs d’aujourd’hui, à l’abri des opérateurs, dont les gestes de médiation sont ainsi revitalisés.

Grâce à la collaboration de l’Academy of Motion Pictures, Arts and Sciences et de la Lilly Library (Université de Bloomington, Indiana), et la participation de Christa Fuller, George Stevens Jr. et Jerry Rudes, le Mémorial est en mesure de montrer pour la première fois en France un montage de documents d’archives, de films et de photographies, souvent inédits, qui permettent de retracer, presque au jour le jour, une expérience vécue à la première personne, en même temps que transmise en héritage aux générations d’après.

Retrouvez Christian Delage, le commissaire de l’exposition :

Lundi 8 mars 2010, France Culture, 12h, “Tout arrive”, émission d’Arnaud Laporte.
Mardi 9 mars 2010 (daté 10 mars), Le Monde, entretien accordé à Thomas Sotinel
Mercredi 10 mars 2010, Libération, entretien accordé à Gérard Lefort ; LCI, 17h-18h, “Le Ring”, émission de Michel Field.
Vendredi 12 mars 2010 (daté 13 mars), Le Monde magazine, dossier spécial.
Mercredi 17 mars 2010, France Culture, 19h, “Le Rendez-vous”, émission de Laurent Goumarre

mardi 9 février 2010

La mémoire à l'ère numérique





La prochaine Master class du séminaire EHESS Pratiques historiennes des images animées aura lieu ce vendredi, 12 février 2010, de 13h30 à 17h30, au Centquatre, 104 rue d'Aubervilliers, 75020 Paris, Atelier 7, en partenariat avec l'association "Paroles d'images" (Rémy Besson).

Le séminaire reçoit Emmanuel Hoog, président de l'Institut national de l'audiovisuel, à propos de son livre Mémoire, année zéro (Seuil, 2009).

Après une courte présentation de la séance, les conditions de la réforme du dépôt légal de 1992 seront rappelées, en présence du responsable du rapport remis l'époque au Ministre de la Culture, Antoine Lefébure, consultant sur le rôle des nouvelles technologies dans l'urbanisme.
Suivra une étude de cas, autour du travail de recherche de Vincent Auzas, doctorant à l'Université Laval (Québec) et à Paris Ouest Nanterre La Défense, et son expérience de l'usage de la base audiovisuelle de l'INA.
Une Table ronde permettra à Emmanuel Hoog de dialoguer avec André Gunthert, responsable de l'agrégateur de blogs "Culture visuelle", de Johan Hufnagel, rédacteur en chef de SLATE.fr, et d'Antoine Lefébure.

Références :
1. Billet de Christian Delage, "Une fenêtre sur les archives de l'INA" :
2. Page personnelle d'Antoine Lefébure sur "Le 11ème Blog" : http://www.antoinelefebure.com
3. Entretien avec Emmanuel Hoog
3. Site de Culture visuelle

Un compte rendu détaillé de la séance sera publié dans les jours qui suivent la séance.

Informations pour se rendre au Centquatre


jeudi 28 mai 2009

Almodovar, un travail de deuil réussi








Étreintes brisées, de Pedro Almodovar





Dans l’une des séquences d’Étreintes brisées, Pedro Almodovar met en scène la photogénie de son actrice-fétiche, Penelope Cruz, en la rapprochant du look d’Audrey Hepburn, la “Fair Lady“, l’une des actrices les plus élégantes de l’histoire du cinéma. À la différence de Quentin Tarantino, qui fonde l’écriture de ses films sur le monde de sa cinéphilie, Almodovar, quoique très connaisseur des films classiques et de ceux de ses contemporains (comme il l’a montré dans l’entretien accordé aux Inrockuptibles, http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/la-lecon-de-cinema-de-pedro-almodovar), ne sature pas ses scénarios de telles références, mais en joue simplement, avec beaucoup de goût.














Audrey Hepburn, Penelope Cruz

Étreintes brisées raconte l’histoire à deux temps de Mateo Blanco (Lluis Homar), un réalisateur qui, après avoir perdu sa femme, Lena (Penelope Cruz) et la vue, renaît sous le nom de plume d’un scénariste, Harry Caine. En empruntant une autre identité, et en vivant pleinement l’instant présent, il s’est convaincu qu’il pourra oublier l’amour fou qu’il portait à Lena. Ce passé va pourtant resurgir.

Almodovar excelle dans l’art de construire des histoires complexes, où les rapports entre les personnages sont empreints de passion amoureuse, de jalousie, de violence. Il le fait dans un style qui est, depuis quelque temps, de plus en plus épuré. Ce qui lui permet, de temps en temps, de provoquer des ruptures de ton, en passant du drame à la comédie, comme pour alléger le poids d’un passé trop lourd à porter. Très savoureux sont les moments où une jeune femme, qui arrive à lire sur les lèvres, déchiffre, sur les images tournées par un improbable “Ray X“, et commanditées par le mari de Lena, ce que celle-ci dit de lui à son amant, Mateo.

En ce sens, outre la (toujours) très grande capacité de ses personnages à converser sur leur situation, dans un dialogue d’une qualité indéniable, Étreintes brisées (http://www.losabrazosrotos.com/?lang=fr) peut se comprendre comme un exemple réussi de travail de deuil. Surmontant sa peine, Mateo/Harry finit par se confronter à l’image de Lena disparue telle que projetée dans le film qu’il avait réalisée avec elle quinze ans plus tôt. Ni fétiche, ni point de fixation, cette image, allégée par la grâce de Penelope Cruz et le caractère comique de l’histoire mise en scène, provoque un sentiment d’apaisement, signe du dépassement de l’état de mélancolie.



lundi 4 mai 2009

Une Amérique post-raciale?


L'Amérique de Barack Obama est-elle (déjà) devenue post-raciale? C'est en tout cas l'un des sujets qui animent en ce moment les débats aux États-Unis. Le président a donné mercredi dernier une conférence de presse où il a été interpellé sur la question de savoir si l'État fédéral allait faire un effort particulier pour soutenir ceux qui, étant Africains-Américains, souffrent davantage encore de la crise actuelle.

Voici l’échange en question :


Andre Showell (correspondant de Black Entertainment Television à Washington) : As the entire nation tries to climb out of this deep recession, in communities of color, the circumstances are far worse. The black unemployment rate, as you know, is in the double digits. And in New York City, for example, the black unemployment rate for men is near 50 percent. My question to you tonight is given this unique and desperate circumstance, what specific policies can you point to that will target these communities and what's the timetable for us to see tangible results?

Barack Obama : "Well, keep in mind that every step we're taking is designed to help all people. But, folks who are most vulnerable are most likely to be helped because they need the most help.

So when we passed the Recovery Act, for example, and we put in place provisions that would extend unemployment insurance or allow you to keep your health insurance even if you've lost your job, that probably disproportionately impacted those communities that had lost their jobs. And unfortunately, the African-American community and the Latino community are probably overrepresented in those ranks.

When we put in place additional dollars for community health centers to ensure that people are still getting the help that they need, or we expand health insurance to millions more children through the Children's Health Insurance Program, again, those probably disproportionately impact African-American and Latino families simply because they're the ones who are most vulnerable. They have got higher rates of uninsured in their communities.

So my general approach is that if the economy is strong, that will lift all boats as long as it is also supported by, for example, strategies around college affordability and job training, tax cuts for working families as opposed to the wealthiest that level the playing field and ensure bottom-up economic growth.

And I'm confident that that will help the African-American community live out the American dream at the same time that it's helping communities all across the country."

Une réponse toute politique, qui, avec sa mention du "rêve américain", peut paraître décevante, eu égard aux espoirs que la communauté africaine-américaine a placés dans la personne de Barack Obama. Et pourtant, l’argument est très représentatif de la manière à la fois pragmatique et volontariste qui caractérise les premières décisions prises par la nouvelle administration.

Penser l’intérêt général ne revient pas à exclure davantage encore les minorités et les pauvres mais à tenter de mieux les inclure dans la société. L’école et la santé sont deux des enjeux majeurs, que l’État fédéral va soutenir. De fait, cela visera prioritairement les Africains-Américains et les Latinos, mais sans pour autant faire de leur sort l’objet d’une politique discriminante à l’égard des couches moyennes qui souffrent également de la crise. Car beaucoup d’Américains viennent d’être brutalement privés de leur emploi et plongés dans une forme de déclassement. Paradoxalement, l’avenir peut sembler plus ouvert à ceux qui endurent depuis longtemps des conditions de vie dégradées, car l’État va tenter de gérer de manière structurelle leur situation. Précarité subite des uns, faiblesse récurrente des autres : la crise renforcera-t-elle le lien social, donc national ?

lundi 27 avril 2009

Obama, cent jours après

















Il serait quasi impossible de dresser en quelques lignes le bilan des cent premiers jours de Barack Obama à la présidence des États-Unis d'Amérique. Sans aucun doute, une nouvelle ère a débuté avec son arrivée à la Maison-Blanche. En pleine crise, la confiance des Américains lui est encore largement acquise, tandis que la sympathie qu'il suscite en dehors de son pays ne cesse de croître. Dans Le Monde, Sylvain Cypel a raison de le souligner, l'administration démocrate va vite, "même si, sur nombre de sujets, sa détermination n'a d'égale que sa prudence".

Je voudrais, pour ma part, étant donné l'actualité française du mouvement de lutte contre les réformes portant sur le statut des enseignants-chercheurs, citer le discours que vient de faire le président américain devant l'Académie des sciences dans la capitale fédérale.

Il s'y est plaint du niveau, en mathématiques et en sciences, des jeunes élèves américains âgés de 15 ans, dont la moyenne dans ces matières les classe dans le monde aux 25ème et 21ème rangs. Loin de lui l'idée que le niveau baisserait, que tout était mieux avant, une antienne bien connue dans notre pays. Non, Barack Obama est venu pour dire que cette situation était due au sous-financement de la science et la recherche, et concernait l'ensemble de la nation américaine. Il a alors annoncé qu'il allait leur consacrer 3% du produit intérieur brut, plaçant ainsi les enseignants et les chercheurs au cœur de l'espace social et à l'avant-garde de la sortie de crise.

Ce discours ne concernait pas les humanités, qui feront sûrement l'objet d'une autre intervention présidentielle, et pourtant il en était pétri. Nous avons déjà souligné combien la conscience historique de Barack Obama est remarquable. Ici, à Washington DC, il a rappelé que l'Académie des sciences a été fondée par Abraham Lincoln en pleine guerre civile, quelques mois après la lourde défaite de Fredericksburg : "Il refusait d'accepter que le seul but de notre nation soit d'assurer sa survie. Il créa l'Académie, finança les Land-Grant Colleges et commença le chantier du transcontinental". Un pont idéalisé entre savoir et marché? Non, car Obama cite Lincoln lui-même qui considérait qu'il faut ajouter le combustible de l'intérêt au feu du génie de la découverte... de choses nouvelles et utiles."

L'appel à l'imagination des jeunes diplômés américains est également présent. Il s'accompagne d'une réelle volonté d'en faire des "producteurs" et pas seulement des "consommateurs", d'y impliquer davantage de femmes et de personnes issues des minorités. Bref, de libérer les énergies et non d'être malthusien, une tâche également urgente dans la France de ce début de 21ème siècle, où les enseignants devraient pouvoir s'épanouir dans le "mystère des grandes assemblées" :

"Il semble qu'un seul parle ici, disait Michelet dans sa leçon du 29 décembre 1842 au Collège de France ; erreur, vous parlez aussi. J'agis et vous réagissez, j'enseigne et vous m'enseignez. Vos objections, vos approbations me sont très sensibles. Comment ? On ne peut le dire. C'est le mystère des grandes assemblées, l'échange rapide, l'action, la réaction de l'esprit. L'enseignement n'est pas, comme on le croit, un discours académique, une exhibition ; c'est la communication mutuelle, doublement féconde, d'un homme et d'une assemblée qui cherchent ensemble".




mercredi 18 février 2009

Le Tribunal des Khmers rouges validera-t-il comme preuves les images de la prison S-21?


"Douch" face à ses juges,
Phnom Penh,
17 février 2009






















Dès la première journée d'audience préliminaire du procès de "Douch", la question de la validation comme preuves, par les juges, d'images d'archives a été au centre des débats. C'est, avec le filmage du procès, l'un des héritages les plus novateurs du Tribunal militaire international de Nuremberg qui est ainsi revitalisé.

À l'époque, en 1945, l'équipe américaine en charge de la préparation du procès avait accepté la présentation d'images fixes ou animées comme preuves des crimes nazis, sous réserve de la garantie de leur honnêteté et de leur fidélité aux faits survenus. Dans mon film, Nuremberg. les Nazis face à leurs crimes,
j'ai montré plusieurs des moments où l'Accusation a projeté des films sur les atrocités nazies.

Kar Savuth et François Roux, les deux avocats de Douch, ont considéré que ces films sont une "manipulation" et ont argumenté à deux niveaux : d'une part, en demandant que l'un des enfants figurant sur le film vietnamien, Norng Chanphal, puisse venir à la barre, et, d'autre part, en contestant la véracité des images :

« Sur le film, expose Kar Savuth, l’entrée principale est à l’est, alors qu’à l’époque, c’était à l’ouest ; on voit l’enseigne “Tuol Sleng” au dessus de l’entrée, et non “S-21”, comme c’était le cas sous les Khmers rouges ; l’enfant est supposé être très faible, et les images le montrent en bonne santé ; et sur les neuf survivants, on ne voit que l’enfant ».

Ces remarques signalent un degré de lecture critique des images qui n'existait pas à Nuremberg, mais à Jérusalem, quand l'avocat d'Eichmann avait également tenté de discréditer les images des camps montrées lors du procès et, plus récemment, à La Haye, quand Milosevic contestait les images des crimes commis à Srebrenica.

Ainsi cette première journée du procès de Douch a-t-elle mis en évidence combien les Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC), dont la structure mixte et la procédure continentale se distinguent de la Cour pénale internationale et du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, s'incrivent d'ores et déjà dans l'histoire longue de la justice internationale.