mercredi 27 février 2008

Inauguration du Mémorial de Royallieu

Un mémorial de l’internement et de la déportation a été inauguré samedi dernier à Compiègne et a déjà accueilli près de 6000 visiteurs pendant le week-end. La presse écrite (Le Monde, Libération) et audiovisuelle (France 2) a rendu compte avec enthousiasme d'un projet porté par la Ville de Compiègne depuis plusieurs années. La maîtrise d'œuvre en a été assurée par l'architecte-scénographe Jean-Jacques Raynaud, tandis que la responsabilité de l'élaboration du parcours historique et des films qui s'y inscrivent m'a été confiée.

En France, pendant l’Occupation, le camp de Royallieu est le deuxième en importance après celui de Drancy. Près de 45 000 personnes y sont passées, en provenance de toutes les prisons de France et à destination des camps nazis. Plus de la moitié ne sont pas revenues.
Pour importante qu’elle soit, cette histoire n’était jusqu'à aujourd'hui peu ou pas connue du grand public, tandis que peu de chercheurs s’y étaient intéressés.

L’une des raisons de la faiblesse historiographique vient sans doute de la destruction des archives du camp par l’armée allemande lors de son départ en 1944. La campagne de recherche conduite par la Fondation pour la mémoire de la déportation et par la mairie de Compiègne depuis l’année 2000 a néanmoins porté ses fruits : des documents ont été trouvés et rassemblés, côté allemand comme côté français, émanant des autorités administratives et politiques comme des internés eux-mêmes. Ils révèlent la complexité et les multiples enjeux liés à l’existence et au fonctionnement du camp, qui rendent difficile de se tenir à une seule monographie de son histoire.

Ce qui s’est passé à Royallieu entre 1941 et 1944 renvoie simultanément à la politique d’occupation allemande, aux rapports entre Vichy et les Allemands, mais aussi aux conflits du pouvoir nazi, entre centre (Berlin) et périphérie (le commandement militaire allemand en France), comme entre l’armée allemande et la Gestapo.


Le camp de Royallieu a joué un rôle central dans la politique allemande d’occupation. Si les internés sont majoritairement des prisonniers politiques et des résistants, pour beaucoup communistes, et si leur sort commun est le transfert vers les camps de concentration nazis pour être affectés à des unités de travail, ce ne sont pas eux qui ont été les premiers à être déportés, mais les juifs arrêtés en décembre 1941.
En effet, c’est depuis Royallieu que le premier convoi de juifs part de France, le 27 mars 1942. Certains avaient directement été internés à Royallieu après leur arrestation, mais d’autres avaient été transférés de Drancy. Pourquoi ?

En fait, pendant l’hiver 1941/1942, les Allemands infléchissent leur politique de répression, marquée par l’arrestation préventive d’otages désignés pour être fusillés le moment venu. Les opposants à la présence allemande mais également ceux qui sont considérés comme « suspects » sont bientôt qualifiés d’« éléments judéo-bolchéviques ». Un lien est en effet établi entre les attentats et l’activité supposée de juifs au sein de « groupes communistes terroristes ». Une politique de persécution et de déportation impliquant la France dans la « Solution finale » est alors mise en place.
Ce changement s’est opéré sous l’emprise grandissante de la Sipo-SD, tandis que le camp est et restera jusqu’au bout administré par l’armée allemande. C’est après le départ du deuxième convoi de juifs, le 5 juin 1942, que 26 convois principaux quittent le camp vers sept destinations : Buchenwald, Neuengamme, Auschwitz-Birkenau, Mauthausen, Dachau, Sachsenhausen, Ravensbrück.

À la Libération, la mémoire des déportés politiques et résistants trouve rapidement une place institutionnelle dans le paysage des commémorations de la Deuxième Guerre mondiale, au contraire de celle des « déportés du travail » et des juifs. Elle ne bénéficie pourtant pas des atouts d’une réunion au sein d’une seule association représentative des convictions, des engagements et des parcours de chacun des déportés.


À Royallieu, la diversité des personnes internées et de leurs conditions de vie, et le temps relativement court, en moyenne, de leur séjour, n’ont guère favorisé l’émergence d’un grand récit représentatif des histoires vécues par les uns et par les autres. Il faut également tenir compte du fait que, pour la plupart des internés, la mémoire de la déportation, étape finale de la répression ou de la persécution qu’ils ont subie, l’a souvent emporté sur celle de leur internement à Royallieu.
De Royallieu ne sont ainsi parvenues que des parcelles d’histoire correspondant à la mémoire spécifique de ceux qui ont été internés ensuite dans le même camp ou de ceux dont la voix s’est faite entendre par le biais de leur association d’anciens.

Il faut souhaiter que la création d’un Mémorial sur le site de l’ancien camp de Royallieu contribue à la transformation en cours de l’histoire et de la connaissance de l’internement et de la déportation. Il sera désormais possible de faire se rencontrer et même se réunir des mémoires qui, jusqu’ici, se tenaient souvent à distance les unes des autres. Aux résultats déjà perceptibles dans le champ historiographique d’une étude renouvelée de la politique allemande d’occupation de la France devraient correspondre sans doute des actions conduites par les deux principales fondations, la Fondation pour la mémoire de la déportation et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, pour favoriser l’écriture et la transmission d’une histoire commune, même si elle souligne ce qui, dans l’esprit des nazis, distinguait la persécution de la répression.
C’est en tout cas dans ce sens que le parcours historique, qui se déploie sur une dizaine de salles dans deux des anciens bâtiments du camp de Royallieu, a été conçu.

Ouvert sur la confrontation des mémoires française et allemande des deux armistices de 1918 et de 1940, il se referme sur l’évocation des sept camps où les internés ont été déportés. Des reportages bruts, muets et non montés de l’ouverture ou de la libération des sept camps nazis de destination principale des internés de Royallieu sont alors projetées. À ces images répondent, grâce à des écrans doubles, des témoignages de survivants enregistrés de 1945 à nos jours. Nous avons souhaité, à cet instant, que les visiteurs puissent percevoir dans toute sa force inaugurale le geste des cameramen américains et soviétiques alors confrontés à la découverte de l’horreur, mais aussi, et inséparablement, la manière dont s’est construite la mémoire des anciens : celle de Paul Micholet, résistant catholique filmé au printemps 1945 dans le camp de Dachau, la déposition de la militante communiste Marie-Claude Vaillant-Couturier devant la cour du Tribunal militaire international de Nuremberg, en janvier 1946, ou bien encore le récit que le déporté juif Lucien Fayman a donné à la Fondation Spielberg à la fin du siècle dernier.

La force de ces paroles et de ces visages provient en grande partie des conditions initiales de leur médiation audiovisuelle, le plus souvent définie par un cahier des charges ou une procédure. Nous y avons ajouté la perception de leur évolution dans le temps, jusqu’à leur inscription dans le parcours du Mémorial. C’est une manière parmi d’autres de réunir ces déportés, sans gommer les différences de leur statut et de leur destin, tout en suggérant que leur parole procède d’une construction, celle du travail de mémoire. Dans la mesure où une distance est ainsi créée, ce travail n’est pas contradictoire avec les exigences de l’histoire, tous deux se complétant et se renforçant mutuellement.