mercredi 18 février 2009

Le Tribunal des Khmers rouges validera-t-il comme preuves les images de la prison S-21?


"Douch" face à ses juges,
Phnom Penh,
17 février 2009






















Dès la première journée d'audience préliminaire du procès de "Douch", la question de la validation comme preuves, par les juges, d'images d'archives a été au centre des débats. C'est, avec le filmage du procès, l'un des héritages les plus novateurs du Tribunal militaire international de Nuremberg qui est ainsi revitalisé.

À l'époque, en 1945, l'équipe américaine en charge de la préparation du procès avait accepté la présentation d'images fixes ou animées comme preuves des crimes nazis, sous réserve de la garantie de leur honnêteté et de leur fidélité aux faits survenus. Dans mon film, Nuremberg. les Nazis face à leurs crimes,
j'ai montré plusieurs des moments où l'Accusation a projeté des films sur les atrocités nazies.

Kar Savuth et François Roux, les deux avocats de Douch, ont considéré que ces films sont une "manipulation" et ont argumenté à deux niveaux : d'une part, en demandant que l'un des enfants figurant sur le film vietnamien, Norng Chanphal, puisse venir à la barre, et, d'autre part, en contestant la véracité des images :

« Sur le film, expose Kar Savuth, l’entrée principale est à l’est, alors qu’à l’époque, c’était à l’ouest ; on voit l’enseigne “Tuol Sleng” au dessus de l’entrée, et non “S-21”, comme c’était le cas sous les Khmers rouges ; l’enfant est supposé être très faible, et les images le montrent en bonne santé ; et sur les neuf survivants, on ne voit que l’enfant ».

Ces remarques signalent un degré de lecture critique des images qui n'existait pas à Nuremberg, mais à Jérusalem, quand l'avocat d'Eichmann avait également tenté de discréditer les images des camps montrées lors du procès et, plus récemment, à La Haye, quand Milosevic contestait les images des crimes commis à Srebrenica.

Ainsi cette première journée du procès de Douch a-t-elle mis en évidence combien les Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC), dont la structure mixte et la procédure continentale se distinguent de la Cour pénale internationale et du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, s'incrivent d'ores et déjà dans l'histoire longue de la justice internationale.


mardi 17 février 2009

Les Cambdgiens, loins ou proches du Tribunal qui juge les Khmers Rouges?













C'est aujourd'hui que s'ouvre, à Phnom Penh, l'audience préliminaire du premier procès intenté à un ancien Khmer rouge, Kaing Guek Eav, alias « Douch », âgé de 66 ans. Il est accusé de « crimes contre l’humanité » et de « crimes de guerre ». Les quatre autres détenus en attente d'être jugés sont Khieu Sampan, alors chef de l’État du « Kampuchéa démocratique », Nuon Chea, « frère numéro deux », Ieng Sary, « frère numéro trois » et son épouse, Ieng Thirith, ministre des Affaires sociales.

Douch était le responsable du centre d’interrogatoire sous torture de Tuol Sleng (S-21) à Phnom Penh, où, sur les 14 000 personnes emprisonnées, une douzaine seulement ont survécu.

Dans ce qui s’apparente à une volonté de contrôler le Tribunal mis en place pour juger les Khmers rouges, en négociant avec l’ONU le partage des responsabilités judiciaires avec ses propres magistrats, le gouvernement cambodgien a néanmoins été contraint de donner une certaine visibilité aux audiences. Le Tribunal se tient dans la capitale, à mi-chemin entre le centre-ville et l’aéroport. Il n’y aura donc pas de justice « hors sol », selon l’expression d’Antoine Garapon, à la différence des tribunaux de La Haye, mais, au contraire, grâce à la publicité des débats, garantie par la présence de la presse internationale, un procès équitable dans une salle pouvant accuellir plus de 500 personnes.


Si l’appareil technique des débats est inspiré de l’exemple des cours internationales (retour de l’image de l’audience et présentation de tous les éléments du dossier sur des écrans individuels placés devant l’ensemble des participants au procès), la présence d’un public numériquement important marque une différence sensible. Or, dans une population passée d’environ 5,6 millions en 1979 à plus de 14 millions aujourd’hui et majoritairement composée de jeunes de moins de 18 ans, la question de la persistance ou de la réactivation d’une mémoire vive des crimes commis de 1975 à 1979, d’un côté, et de la connaissance ou de l’enseignement de l’histoire des Khmers rouges, de l’autre, n’est pas simple.

Sur les 14,3 millions d’habitants que compte le Cambodge, 85% vivent en milieu rural. Le pays est l’un des plus pauvres et les moins développés de la région. En 2004, 35% de la population vivaient en dessous du seuil de pauvreté, une situation aggravée par un passage brutal à l’économie de marché. Si l’étude des crimes des Khmers rouges n’a pas été particulièrement encouragée à l’école , la mort régulière d’enfants, qui sont parmi les victimes les plus exposées à l’explosion des mines qui tapissent encore le sol cambodgien, sont un cruel rappel quotidien de la situation géopolitique du Cambodge durant les années 1970.


Or, dans un sondage publié récemment par le Centre des droits de l'homme de l'université de Berkeley, les Cambodgiens interrogés ont répondu que leur priorité actuelle est, pour 83% d'entre eux, la recherche d'un emploi. Sur ce que devrait faire le gouvernement, ils mettent au premier plan l'économie et la construction de logements, la justice venant au dernier plan (2%). 76% considèrent qu'il est plus important de se concentrer sur les problèmes de vie quotidienne plutôt que sur le jugement des crimes des Khmers rouges.

Néanmoins, étant donné le faible degré de connaissance, au sein de la population, de l'histoire du Cambodge entre 1975 et 1979, 77% des sondés aimeraient que cette histoire soit mieux enseigner à l'école. Un premier manuel vient d'être publié, installant l'étude de la période khmère rouge dans les programmes scolaires.

Le Tribunal, moderne par sa structure, a maintenu dans l’aménagement de sa scénographie la disposition classique des places occupées en général par les acteurs du procès. Douch, comme les témoins représentant les parties civiles, seront de dos, et, pour certains, masqués complètement à la vue des spectateurs pour protéger leur anonymat. En disposant, sous le prétexte d’assurer la sécurité de l’accusé, un mur de verre séparant matériellement la scène de la salle du Tribunal, le contact entre les protagonistes du procès et le public a été volontairement contenu pour être moins direct, anticipant d’éventuels mouvement de colère ou d’émotion des survivants présents.


Il faudra donc suivre de près la manière dont les premières audiences du procès, qui sont filmées, vont être diffusées à Phnom Penh comme dans la campagne cambodgienne.