Le jazz invite-t-il davantage que d'autres genres au partage de la musique ? Non seulement entre les interprètes, mais entre ceux-ci et leurs auditeurs ? À suivre les festivals de Juan-les-Pins et de Nice cette année, et en particulier les sets de Roy Hargrove et des trios de Keith Jarrett et d'Avishai Cohen, c'est en tout cas le sentiment majeur que l'on a pouvait éprouver.
Le trompettiste Roy Hargrove et le contrebassiste Avishai Cohen se distinguent par leur incroyable énergie et leur apparente décontraction. Énergie, car leur jeu est très vif, montant souvent en rythme et en puissance. Décontraction, car ils sont si maîtres de leur instrument qu'ils arrivent à nous faire oublier le travail et l'effort qu'il requiert. Avec Hargrove, il est loisible de le voir se concentrer quand, après avoir laissé ses collègues improviser, il revient au centre de la scène et reprend la main. Avec Cohen, l'affaire est plus compliquée, car la contrebasse n'est pas un instrument qui s'impose d'emblée avec autant de présence sonore : or le musicien israélien, installé à New York, est un véritable athlète. La manière dont il se collète avec son instrument est très physique et il finit d'ailleurs souvent par le frapper des mains pour soutenir le tempo.
Et puis il y a le trio Jarrett, Peacock et DeJohnette. Les amateurs savent combien ceux-ci sont exigeants quant aux conditions de tenue de leur concert. Cette susceptibilité serait-elle encore plus vive quand ils jouent en plein air ? C'est ici qu'il faut parler du lieu dans lequel se déroule "Jazz à Juan" : la pinède de Juan-le-Pins. Dans une ville livrée l'été aux marchands du temple et à l'exhibition du luxe, en particulier automobile, cette pinède est un lieu miraculeux, ouvert sur la mer et le ciel, propice à la contemplation. Or le trio emmené par Keith Jarrett est tout en intériorité et procède le plus souvent par reconstruction progressive du standard qu'il interprète, en allant des variations vers le thème. Ce qui fait de leurs morceaux des "petites formes", au sens qu'Anton Webern donnait à son travail de recréation et de transformation de l'œuvre contrapuntique de Bach. Comme le souligne avec justesse Francis Marmande, c'est à peine si l'on se rend compte du jeu du batteur, tant celui-ci joue en finesse.
Les rappels permettent au public de reprendre pied et de se rendre compte, tandis que les musiciens reviennent, du moment unique d'échange et de partage qu'ils ont vécu, dans un temps presque suspendu.
On retrouvera avec plaisir Avishai Cohen au Blue Note, à New York, le 28 août prochain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire