vendredi 7 mars 2008

Nicolas ou Ali ? Le match des matinales d'Inter et de Culture

Depuis l'automne 2007, un match intéressant se déroule entre les matinales de France Inter et de France Culture. Ces tranches horaires, 7h-10h et 7h-9h sont en effet parmi les plus écoutées de la journée. Elles imposent aux stations de radio de trouver le bon animateur, capable d'accrocher l'attention de l'auditeur, au moment où la journée commence. Fidèle des stations publiques, je ne puis parler d'Europe 1 ou de RTL. De toute façon, le match évoqué en titre oppose au moins autant deux personnalités – Nicolas Demorand et Ali Baddou – que deux radios, Inter et Culture.

Pendant longtemps, la matinale de Culture a été animée par Jean Lebrun, un grand journaliste qui a formé plusieurs des jeunes voix de la radio, dont certaines, aujourd'hui, travaillent à la direction des programmes. Son empreinte était telle que ses successeurs ont souvent peiné à imposer leur style. Laure Adler a alors proposé à Nicolas Demorand de prendre en charge un 7/9 renouvelé.

Ce dernier fait partie de cette génération de Normaliens qui ont choisi d'abandonner enseignement et recherche (ici, la philosophie et les lettres modernes) pour se lancer dans le journalisme. Or ce qui le caractérise au premier abord n'est pas l'acquis des études qu'il a suivies mais quelque chose de précisément radiophonique : sa voix. Sérieuse et goguenarde à la fois, son parler est le plus souvent écrit et lu, mais sans que cela se "voie" si je puis dire. Une façon apparemment improvisée de dire des choses en fait très préparées, et cela dans un bon tempo.

Face à son invité principal, de 7h40 à 8h55, il ne cherche pas à se mettre en avant, et lui donne le temps de déployer sa pensée. Car il s'agit le plus souvent de chercheurs, d'intellectuels, d'artistes dont les ouvrages ou les œuvres ne sont pas "grand public" et qu'il faut pourtant accompagner pour leur permettre de se faire connaître du plus grand nombre. Et d'abord les respecter : Demorand est donc l'inventeur d'une formule de politesse particulière, un "Bonjour Monsieur" ou "Bonjour Madame" sans ajout du nom propre qu'il a indiqué auparavant (qui n'a pas entendu le candidat Nicolas Sarkozy contester ce "Monsieur", un peu trop anonyme à son goût, a raté un bon moment de radio).

La réussite de cette matinale a conduit Nicolas Demorand à être recruté par France Inter pour animer le 7/10. Sur Culture, c'est désormais Ali Baddou qui officie : d'un profil similaire (il est agrégé de philosophie et a également été repéré par Laure Adler), il le remplaçait déjà pendant les vacances.

Habitué à Demorand, tout en considérant avec bienveillance l'arrivée de Baddou, qu'allait donc faire l'auditeur désormais partagé entre les deux stations ? C'est là qu'intervient une autre donnée, essentielle : le formatage. Sur Culture, la linéarité du dialogue entre l'animateur et l'invité est interrompue régulièrement par cinq "rubriquards" et par les informations. Comme la plupart d'entre eux n'ont pas suivi l'exemple de Véronique Nahoum-Grappe – à savoir s'arrêter au bout d'un certain temps et passer la main à d'autres – et qu'il est incontestablement difficile d'avoir quelque chose d'intéressant à dire tous les jours, leurs créneaux peuvent être avantageusement utilisés pour aller sur Inter et suivre Demorand dans sa nouvelle émission.

Le 7/10 d'Inter est incomparablement plus fragmenté que l'est celui de Culture. Éditos, rubriques, infos, météo, trafic routier : le temps de parole de Demorand est finalement plus réduit alors que la matinale est plus longue. Ce paradoxe a une explication : les auditeurs règlent leur temps de réveil et de préparation au départ de leur foyer sur le timing de la grille. Avant de se dire en écoutant la chronique de Jean-Marc Sylvestre "tiens, encore un éloge du libéralisme", ils s'écrieront volontiers "déjà 7h22, on va être en retard". C'est la contrainte de cette matinale, que Demorand a su gérer en imprimant malgré tout son style, ne serait-ce que dans la manière d'introduire les uns et les autres, ou de passer de l'info à l'éditorial sans crier gare. Mais l'on ne peut s'empêcher de regretter que, par exemple, il n'ait pas plus de temps avec son invité, de 8h20 à 8h30, avant de passer aux questions des chers auditeurs de 8h40 à 9h.

Côté Culture, il me semble que le choix des invités dépend davantage qu'avant de l'actualité politique. Était-il vraiment nécessaire, la même semaine, de recevoir Éric Besson, Vincent Peillon et Dominique de Villepin ? Tant qu'Ali Baddou, qui n'hésite pas désormais à patienter sagement au Grand Journal de Canal + avant de réussir à imposer le ton décalé de son billet littéraire, recevra des auteurs étrangers comme Russell Banks, parlant dans leur langue, nous lui serons fidèles. Comme nous serons fidèles à Demorand.

Leur duo à distance nous impose donc une forme de zapping inédite, où il faut rapidement s'informer du nom de leurs invités respectifs pour choisir le moment d'aller vers l'un ou l'autre, ou bien laisser sa chance à l'un puis à l'autre pour savoir lequel offre la matière la plus intéressante, avant de passer à la Fabrique de l'histoire, le rendez-vous incontournable de 9h10.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et si vous nous mettiez un lien ou un enregistrement de cette voix que j'ai hâte de découvrir.

Christian Delage a dit…

Oui, voici le lien pour Culture :

http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/matins/index.php?emission_id=25060143

et pour Inter :

http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/septdix/