
Première grande surprise du festival, le film israélien d’Ari Folman, Waltz with Bashir, coproduit avec Les Films d’ici et ARTE France, a été longuement applaudi hier soir dans la grande salle du Palais.
L’auteur, dont le premier film remonte à l’année 1991, a réussi une œuvre très originale, d’une beauté plastique égale à la force du propos. D’abord réalisé sous la forme d’un documentaire tourné en vidéo, le film a ensuite été adapté en un dessin d’animation qui a demandé un long travail de fabrication. Le réalisateur s’y met en scène, dans une enquête qui part d’une interrogation personnelle : pourquoi si peu de souvenirs lui restent de la première guerre du Liban à laquelle il a participé ? Ou plus précisément : n’y a-t-il pas quelque chose qui fait obstacle à cette remontée de mémoire, ce qui, dans d’autres circonstances, agit au contraire comme compulsion de répétition ? L’ancien soldat s’en va donc trouver non seulement ses anciens camarades mais également des spécialistes susceptibles de libérer une parole bloquée, celle de l’expérience du fait guerrier, et de l’organiser en un récit.
Car si ce film n’est pas “politique“, contrairement à la présentation qu’en ont fait certains journalistes, il est profondément historique et je dirais même anthropologique. S’il est en effet impossible de circonscrire le propos du réalisateur à la défense d’une vision “israélienne“ de l’engagement de Tsahal au Liban, il nous est permis de suivre ces jeunes soldats sur le terrain et de comprendre ce qui se passe dans leur corps et dans leur esprit quand ils sont, souvent brutalement, confrontés à la violence qu’ils subissent comme à celle qu’ils exercent. C’est la peur qui domine, en face d’un “autre“ le plus souvent invisible, repéré seulement à distance dans la visée d’un fusil à infrarouge, ou surgissant tout à coup sous la forme d’un gamin équipé d’une arme. Dans ce désorientement de la cible visée, les soldats israéliens intériorisent très vite l’idée qu’il va être impossible de protéger les civils, d’empêcher les victimes “collatérales“.
Ce qui, dans un documentaire classique comprenant entretiens et reconstitutions, deviendrait la part mise en scène d’un “docu-fiction“ est ici “dessiné“ en continuité avec les discussions des anciens soldats, dans une sorte d’épure graphique visuellement très évocatrice. Très rythmé, grâce à une musique spécialement composée, mais aussi des extraits d’œuvre classiques, le film conduit progressivement le spectateur à la prise en compte des débordements du conflit, des exactions individuelles aux crimes de masse. D’un Libanais qui pisse sur le cadavre d’un soldat israélien, de l’allusion aux organes pris sur l’ennemi et conservés dans du formol, jusqu’aux massacres de Sabra et Chatila. Car tel est bien l’objet du blocage de la mémoire de guerre du soldat Folman et l’interrogation qui l’anime en tant que réalisateur : non pas tant une explication politique, distanciée, de ces massacres, mais un déplacement au ras du terrain, dans l’intériorité des consciences de soldats impliqués dans une guerre qui peut tout aussi bien prendre la forme d’un ballet déréalisé, chorégraphié comme un clip vidéo, que celle, soudaine, brève et brutale, de la réception, dans les bras, et au fond d’un tank, du corps d’un officier tué par balles.