
Tout à coup, comme en écho à ce qui venait de se passer en France pour la candidate socialiste, la question pouvait se poser : Et si c’était lui ? Les réponses entendues ici ou là étaient alors pour la plupart négatives : « trop jeune », « pas assez d’expérience »… Même la communauté noire est pour Hillary Clinton, me disait-on, car le camp démocrate veut avoir les meilleures chances pour l’emporter contre les Républicains. Pourtant, vu de France, le parcours d’Obama possède une qualité typiquement américaine : il raconte une histoire. Celle, déjà vue avec Kennedy, d’un politique sachant séduire son audience, pourvu d’un sens aiguisé de la répartie, offrant l’image à la fois rassurante et dynamique d’un jeune père de famille. Celle d’un outsider qui, dans les premières semaines de la campagne des primaires, et contre toute attente, a réussi une levée de fonds qui a dépassé pendant un temps celle d’Hillary Clinton, dont le mari est pourtant réputé pour être particulièrement doué pour ce type d’exercice. Celle enfin, envisageable et à coup sûr inédite, de voir accéder au plus haut niveau de l’État un membre d’une des minorités les plus meurtries par les conditions originelles de son arrivée et de son existence au sein de la société américaine, les Africains-Américains. La victoire d’Obama marquerait-elle l’ultime combat des descendants d’esclaves venus d’Afrique, la concrétisation du grand récit que Martin Luther King faisait commencer avec la proclamation d’émancipation de Lincoln en 1862 ?
Cet héritage est objet de discussions, car l’africanité-américanéité de Barack Obama n’est pas de même nature que celle des descendants d’esclaves. Fils d’une mère américaine et d’un père kényan, le métis Obama est plus proche, en particulier par son éducation, des immigrés venant d’Afrique qui sont de plus en plus nombreux aujourd’hui aux États-Unis, au point, selon certaines études, de devenir majoritaires au sein d’universités comme celle de Harvard. C’est le révérend Jesse Jackson qui avait demandé en 1988, lors d’une conférence de presse, d’utiliser le terme d’Africains-Américains pour qualifier les citoyens noirs, comme le rappelle Rachel L. Swarns dans un article du New York Times intitulé « “African-American“ Becomes a Term for Debate ». Il est intéressant de noter que cet article a été publié le 29 août 2004, alors que Barack Obama menait campagne pour être élu au poste de sénateur au Congrès des États-Unis et se trouvait en face d’un candidat républicain, Alan Keyes, qui lui disputait l’appellation d’« Africain-Américain », considérant qu’ils n’avaient pas le même héritage, car ses parents avaient subi l’esclavage. Obama lui répondit alors : « For me the term African-American really does fit. I’m African, I trace half of my heritage to Africa directly and I’m American. » Que les caractéristiques « modernes » de l’identité d’Obama soient l’objet d’un débat au sein de la communauté africaine-américaine déplace quelque peu le débat qui voudrait directement l’opposer aux WASP.
À cela, il faudrait ajouter le fait que la majorité des personnes qui immigrent aujourd’hui aux États-Unis proviennent d’Amérique centrale et d’Amérique du sud et forment également des minorités qui militent pour la réussite de leur intégration. Enfin, last but not least, le prénom intermédiaire d’Obama est Hussein : dans l’Amérique de l’après-11 septembre, ce rappel discret de l’éducation musulmane dans laquelle son père avait été éduqué fait du candidat à l’investiture démocrate – l’un des premiers opposants à la guerre en Irak – le réceptacle des tensions et des errements de la société américaine, et sans doute le seul à pouvoir lui redonner un nouveau souffle.