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lundi 15 septembre 2008

Central Park West

L'histoire est bien connue, mais sans doute mérite-t-elle d'être rappelée. En 1939, le grand Duke Ellington engage le jeune Billy Strayhorn et lui paie le voyage de Pittsburgh à New York. Ce dernier lui demande comment, une fois arrivé à Manhattan, il pourra aller jusqu'à chez lui. Ellington lui lance alors : "Take the A train". Une fois à New York, Strayhorn composera sous ce titre l'un des plus fameux standards de l'histoire du jazz.

Aujourd'hui, New York possède toujours quelques-uns des plus célèbres clubs de jazz du monde, faisant de cette musique l'une des meilleures portes d'entrée dans la ville. Ces dernières années, le Blue Note et le Village Vanguard tenaient le haut du pavé. Le Birdland, déplacé et reconstruit, a repris sa place, invitant des artistes aussi innovants que Patricia Barber. Mais, depuis peu, un nouveau lieu s'est imposé, dans le bel immeuble de Time Warner construit par l'agence Skidmore, Owings & Merrill où s'est installé "Jazz at Lincoln Center", dont la direction artistique a été confiée à Wyton Marsalis et le management à un nouveau responsable, Adrian Ellis.

Il porte le double nom du sponsor, Coca Cola, et de Dizzy Gillepsie. Le Dizzy's, en abrégé, offre non seulement une belle programmation (Roy Haynes, Kenny Burrel, la première semaine de septembre) mais aussi un décor à couper le souffle. Très bien dessiné, le club dispose d'un scène adossée à une grande baie vitrée laissant apercevoir une vue magnifique sur Central Park et la 59ème rue.

En quoi est-ce utile d'avoir une pareille vue quand on écoute du jazz ? Et bien, pensez à ce standard de John Coltrane,
Central Park West et imaginez ce que la combinaison de la musique et de la vue devant laquelle les musiciens se tiennent peut vous inspirer quand, le temps d'un set, la ville plonge progressivement dans une nuit éclairée par les lumières des buildings...

mercredi 12 mars 2008

Comment filmer un procès ?


Mardi dernier, la chaîne histoire a diffusé un documentaire intitulé Caméras dans le prétoire (Compagnie des Phares et Balises, 2008). Ce film est le résultat d’un travail collectif conduit sous ma responsabilité au sein de l’Institut des hautes études sur la justice. Pendant deux ans, avec Antoine Germa (historien), Rafaël Lewandowski (réalisateur) et Thomas Wieder (journaliste), nous avons observé, à partir d’exemples pris en Europe et aux États-Unis, les conditions légales, éthiques et techniques du filmage d’un procès, et l’impact éventuel de sa diffusion télévisuelle. Le film qui en a résulté a été produit grâce au concours de la Mission Droit et Justice du Ministère de la justice.

La première entrée d’une caméra dans un prétoire remonte à l’année 1945-1946, lors des procès intentés par les Alliés contre les criminels de guerre nazis et japonais à Nuremberg et à Tokyo, dans le cadre de tribunaux militaires internationaux créés spécialement à cette occasion. En France, les procès intentés récemment contre Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon l’ont été dans des cours d’assises ordinaires.

Autorisés à pénétrer dans les tribunaux jusqu’en 1953, les photographes ne le furent plus ensuite. Depuis 1981, leur présence, comme celle des reporters de télévision, se limite au début et à la fin de l’audience, avant que ne commence l’interrogatoire et après que le verdict a été prononcé.

La loi n° 85-699 du 11 juillet 1985 « tendant à la constitution d’archives audiovisuelles de la justice » a constitué une première avancée, en autorisant l’enregistrement des audiences d’un procès lorsque celui-ci « présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ». Elle a été votée sur proposition du garde des Sceaux de l’époque, Robert Badinter, dans la perspective du procès de Klaus Barbie. Elle stipule que, dans les vingt ans qui suivent l’enregistrement, la consultation peut être autorisée lorsque la demande est présentée à des fins historiques ou scientifiques. Une fois ce délai écoulé, la consultation est libre, mais la reproduction ou la diffusion doit faire l’objet d’une autorisation pendant encore trente ans. Le décret 86-74 du 15 janvier 1986 en fixe l’application. La loi 90-615 du 13 juillet 1990 est venue alléger cette réglementation puisqu’elle autorise la reproduction et la diffusion de l’enregistrement des audiences des procès pour crimes contre l’humanité dès que ce procès a pris fin.
Depuis quelque temps, à l’initiative de leurs présidents, des cours ont autorisé le filmage de leurs sessions. Citons le film réalisé en avril 2003 par Joëlle et Michelle Loncol, L’Appel aux assises, centré sur les quarante-huit heures où les jurés fondent leur opinion avant d’annoncer leur sentence, ou bien encore le magazine « 3600 secondes », sur France 3, qui a consacré un de ses numéros à des comparutions immédiates au Tribunal de grande instance de Lyon. Au cinéma, Raymond Depardon a présenté en salles un film tourné dans l’enceinte de la 10ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris, grâce à l’autorisation du président de la Cour d’appel, Jean-Marie Coulon.

La multiplication de ces initiatives pose le problème de l’aménagement de la loi pour définir le cadre général d’une réglementation nationale.

Avant de décider d’une politique globale d’équipement éventuel des salles de tribunal françaises d’un appareillage audiovisuel permanent et standardisé, et des conditions de la diffusion des images ainsi tournées sur un canal de télévision, il convient de s’interroger sur l’intérêt du filmage d’un procès pour la communauté nationale : l’image déforme, modifie ou même trahit-elle l’esprit de ce qui se passe dans un tribunal ? Pour ce qui nous concerne, nous pensons qu’elle est à même de restituer au mieux la richesse du rituel judiciaire, dans les rigidités comme dans les souplesses de fonctionnement de son espace public, et sous la réserve de l’établissement d’un cahier des charges rédigé en commun par des magistrats et des professionnels de l’audiovisuel.

Cela suppose, au moins dans un premier temps, que des réalisateurs expérimentés, comme celui du procès Touvier, soit associé aux discussions tendant à savoir où placer la caméra et comment effectuer, dans les conditions du direct, un mélange entre plusieurs sources. La contrainte de filmer en ne suivant que le cours de la parole s’avère extrêmement réductrice, car elle ne rend pas compte de la présence simultanée des différentes parties d’une audience, de leurs réactions, de leur confrontation permanente. Plusieurs caméras étant disposées dans la salle, c’est un montage des vues prises selon ces multiples axes qui rendra au mieux la dynamique de l’échange.

Raymond Depardon explique ainsi : « Je crois que la caméra joue le rôle d’une loupe. Elle re-concentre et re-dramatise ce qui, dans la réalité, est flou et dilué ». À la question de la perturbation éventuelle liée à la présence d’une équipe de télévision, il pense que « Le temps, la fatigue, jouent beaucoup en notre faveur. À un moment, les protagonistes oublient tout ». Ce dispositif technique de filmage n’est pas sans rappeler celui mis en œuvre à l’Assemblée nationale et au Sénat, dont certains débats sont diffusés en direct sur La Chaîne parlementaire. Dans les deux cas, nous avons affaire à des espaces publics fondés sur une instruction ou une discussion contradictoire. Cette transparence est salutaire car, au lieu de l’affaiblir, elle renforce les règles du débat démocratique.

vendredi 7 mars 2008

Nicolas ou Ali ? Le match des matinales d'Inter et de Culture

Depuis l'automne 2007, un match intéressant se déroule entre les matinales de France Inter et de France Culture. Ces tranches horaires, 7h-10h et 7h-9h sont en effet parmi les plus écoutées de la journée. Elles imposent aux stations de radio de trouver le bon animateur, capable d'accrocher l'attention de l'auditeur, au moment où la journée commence. Fidèle des stations publiques, je ne puis parler d'Europe 1 ou de RTL. De toute façon, le match évoqué en titre oppose au moins autant deux personnalités – Nicolas Demorand et Ali Baddou – que deux radios, Inter et Culture.

Pendant longtemps, la matinale de Culture a été animée par Jean Lebrun, un grand journaliste qui a formé plusieurs des jeunes voix de la radio, dont certaines, aujourd'hui, travaillent à la direction des programmes. Son empreinte était telle que ses successeurs ont souvent peiné à imposer leur style. Laure Adler a alors proposé à Nicolas Demorand de prendre en charge un 7/9 renouvelé.

Ce dernier fait partie de cette génération de Normaliens qui ont choisi d'abandonner enseignement et recherche (ici, la philosophie et les lettres modernes) pour se lancer dans le journalisme. Or ce qui le caractérise au premier abord n'est pas l'acquis des études qu'il a suivies mais quelque chose de précisément radiophonique : sa voix. Sérieuse et goguenarde à la fois, son parler est le plus souvent écrit et lu, mais sans que cela se "voie" si je puis dire. Une façon apparemment improvisée de dire des choses en fait très préparées, et cela dans un bon tempo.

Face à son invité principal, de 7h40 à 8h55, il ne cherche pas à se mettre en avant, et lui donne le temps de déployer sa pensée. Car il s'agit le plus souvent de chercheurs, d'intellectuels, d'artistes dont les ouvrages ou les œuvres ne sont pas "grand public" et qu'il faut pourtant accompagner pour leur permettre de se faire connaître du plus grand nombre. Et d'abord les respecter : Demorand est donc l'inventeur d'une formule de politesse particulière, un "Bonjour Monsieur" ou "Bonjour Madame" sans ajout du nom propre qu'il a indiqué auparavant (qui n'a pas entendu le candidat Nicolas Sarkozy contester ce "Monsieur", un peu trop anonyme à son goût, a raté un bon moment de radio).

La réussite de cette matinale a conduit Nicolas Demorand à être recruté par France Inter pour animer le 7/10. Sur Culture, c'est désormais Ali Baddou qui officie : d'un profil similaire (il est agrégé de philosophie et a également été repéré par Laure Adler), il le remplaçait déjà pendant les vacances.

Habitué à Demorand, tout en considérant avec bienveillance l'arrivée de Baddou, qu'allait donc faire l'auditeur désormais partagé entre les deux stations ? C'est là qu'intervient une autre donnée, essentielle : le formatage. Sur Culture, la linéarité du dialogue entre l'animateur et l'invité est interrompue régulièrement par cinq "rubriquards" et par les informations. Comme la plupart d'entre eux n'ont pas suivi l'exemple de Véronique Nahoum-Grappe – à savoir s'arrêter au bout d'un certain temps et passer la main à d'autres – et qu'il est incontestablement difficile d'avoir quelque chose d'intéressant à dire tous les jours, leurs créneaux peuvent être avantageusement utilisés pour aller sur Inter et suivre Demorand dans sa nouvelle émission.

Le 7/10 d'Inter est incomparablement plus fragmenté que l'est celui de Culture. Éditos, rubriques, infos, météo, trafic routier : le temps de parole de Demorand est finalement plus réduit alors que la matinale est plus longue. Ce paradoxe a une explication : les auditeurs règlent leur temps de réveil et de préparation au départ de leur foyer sur le timing de la grille. Avant de se dire en écoutant la chronique de Jean-Marc Sylvestre "tiens, encore un éloge du libéralisme", ils s'écrieront volontiers "déjà 7h22, on va être en retard". C'est la contrainte de cette matinale, que Demorand a su gérer en imprimant malgré tout son style, ne serait-ce que dans la manière d'introduire les uns et les autres, ou de passer de l'info à l'éditorial sans crier gare. Mais l'on ne peut s'empêcher de regretter que, par exemple, il n'ait pas plus de temps avec son invité, de 8h20 à 8h30, avant de passer aux questions des chers auditeurs de 8h40 à 9h.

Côté Culture, il me semble que le choix des invités dépend davantage qu'avant de l'actualité politique. Était-il vraiment nécessaire, la même semaine, de recevoir Éric Besson, Vincent Peillon et Dominique de Villepin ? Tant qu'Ali Baddou, qui n'hésite pas désormais à patienter sagement au Grand Journal de Canal + avant de réussir à imposer le ton décalé de son billet littéraire, recevra des auteurs étrangers comme Russell Banks, parlant dans leur langue, nous lui serons fidèles. Comme nous serons fidèles à Demorand.

Leur duo à distance nous impose donc une forme de zapping inédite, où il faut rapidement s'informer du nom de leurs invités respectifs pour choisir le moment d'aller vers l'un ou l'autre, ou bien laisser sa chance à l'un puis à l'autre pour savoir lequel offre la matière la plus intéressante, avant de passer à la Fabrique de l'histoire, le rendez-vous incontournable de 9h10.



lundi 28 janvier 2008

Obama, un candidat « Africain-Américain » ?

Je me trouvais aux États-Unis au début de l’année 2007 quand Barack Obama annonça officiellement à Springfield (Illinois), par une belle et froide journée d’hiver, son entrée dans la course à l’élection présidentielle. C’était le 10 février, et son allocution était retransmise en direct sur CNN. Tout en proclamant la nécessité d’un changement dans la vie politique américaine, le jeune candidat démocrate se plaçait dans la continuité de l’histoire américaine, celle des grandes figures de rassembleurs de la nation comme Abraham Lincoln : « In the shadow of the Old State Capitol, where Lincoln once called on a divided house to stand together, where common hopes and common dreams still, I stand before you today to announce my candidacy for President of the United States. ».

Tout à coup, comme en écho à ce qui venait de se passer en France pour la candidate socialiste, la question pouvait se poser : Et si c’était lui ? Les réponses entendues ici ou là étaient alors pour la plupart négatives : « trop jeune », « pas assez d’expérience »… Même la communauté noire est pour Hillary Clinton, me disait-on, car le camp démocrate veut avoir les meilleures chances pour l’emporter contre les Républicains. Pourtant, vu de France, le parcours d’Obama possède une qualité typiquement américaine : il raconte une histoire. Celle, déjà vue avec Kennedy, d’un politique sachant séduire son audience, pourvu d’un sens aiguisé de la répartie, offrant l’image à la fois rassurante et dynamique d’un jeune père de famille. Celle d’un outsider qui, dans les premières semaines de la campagne des primaires, et contre toute attente, a réussi une levée de fonds qui a dépassé pendant un temps celle d’Hillary Clinton, dont le mari est pourtant réputé pour être particulièrement doué pour ce type d’exercice. Celle enfin, envisageable et à coup sûr inédite, de voir accéder au plus haut niveau de l’État un membre d’une des minorités les plus meurtries par les conditions originelles de son arrivée et de son existence au sein de la société américaine, les Africains-Américains. La victoire d’Obama marquerait-elle l’ultime combat des descendants d’esclaves venus d’Afrique, la concrétisation du grand récit que Martin Luther King faisait commencer avec la proclamation d’émancipation de Lincoln en 1862 ?
Cet héritage est objet de discussions, car l’africanité-américanéité de Barack Obama n’est pas de même nature que celle des descendants d’esclaves. Fils d’une mère américaine et d’un père kényan, le métis Obama est plus proche, en particulier par son éducation, des immigrés venant d’Afrique qui sont de plus en plus nombreux aujourd’hui aux États-Unis, au point, selon certaines études, de devenir majoritaires au sein d’universités comme celle de Harvard. C’est le révérend Jesse Jackson qui avait demandé en 1988, lors d’une conférence de presse, d’utiliser le terme d’Africains-Américains pour qualifier les citoyens noirs, comme le rappelle Rachel L. Swarns dans un article du New York Times intitulé « “African-American“ Becomes a Term for Debate ». Il est intéressant de noter que cet article a été publié le 29 août 2004, alors que Barack Obama menait campagne pour être élu au poste de sénateur au Congrès des États-Unis et se trouvait en face d’un candidat républicain, Alan Keyes, qui lui disputait l’appellation d’« Africain-Américain », considérant qu’ils n’avaient pas le même héritage, car ses parents avaient subi l’esclavage. Obama lui répondit alors : « For me the term African-American really does fit. I’m African, I trace half of my heritage to Africa directly and I’m American. » Que les caractéristiques « modernes » de l’identité d’Obama soient l’objet d’un débat au sein de la communauté africaine-américaine déplace quelque peu le débat qui voudrait directement l’opposer aux WASP.

À cela, il faudrait ajouter le fait que la majorité des personnes qui immigrent aujourd’hui aux États-Unis proviennent d’Amérique centrale et d’Amérique du sud et forment également des minorités qui militent pour la réussite de leur intégration. Enfin, last but not least, le prénom intermédiaire d’Obama est Hussein : dans l’Amérique de l’après-11 septembre, ce rappel discret de l’éducation musulmane dans laquelle son père avait été éduqué fait du candidat à l’investiture démocrate – l’un des premiers opposants à la guerre en Irak – le réceptacle des tensions et des errements de la société américaine, et sans doute le seul à pouvoir lui redonner un nouveau souffle.